Monique Mund-Dopchie, Les territoires de l’âge d’or, de l’Antiquité à l’ère du tourisme planétaire, Genève, Droz, coll. « Histoire des idées et critique littéraire », 2020, 394 p.

La professeure émérite de l’université de Louvain propose une vaste enquête dans les territoires de l’âge d’or et s’interroge sur la manière dont ceux-ci sont envisagés dans les textes de l’Antiquité à nos jours. Les quatre parties de l’ouvrage suivent l’ordre chronologique du mythe, depuis les textes antiques, sur lesquels l’Occident a construit ses représentations, jusqu’à la découverte des « nouveaux mondes » (l’Amérique au XVIe siècle et l’Océanie au XVIIIe). Enfin, le voyage se termine au XXe siècle, lorsque l’âge d’or fait explicitement référence au bonheur d’autrefois, notamment dans les guides touristiques.
Les « fondements » du mythe, l’héritage antique, sont premièrement étudiés. Monique Mund-Dopchie s’intéresse aussi bien au mythe de l’âge d’or qu’aux territoires qu’il met en jeu. Le premier chapitre analyse le « temps » de l’âge d’or en proposant de revenir au texte fondateur d’Hésiode (Les travaux et les jours). Ce dernier détermine quatre races de l’Humanité, qui connaîtront une grande postérité chez les auteurs antiques. L’auteure perçoit plusieurs modifications du mythe, et donc plusieurs réceptions. Empédocle, par exemple, souligne les bienfaits de l’âge d’or ; d’autres insistent sur la proximité avec les dieux (Ovide, Juvénal) ou l’ère de bonheur (Théocrite, Ovide). Enfin, certains inscrivent l’âge d’or dans une chaîne chronologique (Virgile) ou mettent en exergue la décadence de l’Humanité (Horace).
Après avoir tracé la genèse du mythe, l’auteure souligne la difficulté de l’entreprise à en marquer les évolutions et permanences et précise que les textes qu’elle analyse sont représentatifs mais non exhaustifs. Le chapitre III de l’ouvrage s’intéresse ainsi à l’âge d’or à l’époque de la découverte de l’Amérique. Il propose un certain nombre de textes du Moyen Âge et de la Renaissance qui sont nostalgiques de cet âge d’or perdu : dans l’héritage médiéval s’inscrivent « l’amour sensuel et la volupté souvent associée avec la représentation de l’âge d’or ». Monique Mund-Dopchie envisage la grande influence du Roman de la Rose mais également le point de vue théologique puisque le paradis terrestre et l’âge d’or se correspondent dès l’Antiquité tardive avec Tertullien. Cette correspondance s’accroît avec la découverte de nouveaux continents au XVIe siècle. Le « là-bas » de l’âge d’or devient alors celui du paradis terrestre de l’Amérique, un mythe étudié dans les textes de Colomb et Vespucci. D’après l’auteure, c’est avec Pierre Martyr d’Anghiera que s’opère ce rapprochement entre âge d’or et Amérique. Enfin, Monique Mund-Dopchie relit Montaigne et son fameux « Des Cannibales » avant de clore ce chapitre avec les contrées imaginaires d’Érasme, de Ronsard, du Tasse, de Fénelon, de More, de Bacon et de Shakespeare.
Face à ces contrées américaines lointaines, le chapitre IV s’arrête en Océanie et s’attarde plus longuement sur l’« l’ici » européen de l’âge d’or, c’est-à-dire sur les emplois métaphoriques du mythe en Europe (Voltaire, Rousseau). C’est à ce moment que ce dernier évolue, qu’il ne s’intègre plus dans un temps cyclique mais dans le « temps linéaire du progrès envisagé ici dans sa dimension sociale ». C’est ici que prend naturellement place l’étude du « bon sauvage » de Rousseau et de Diderot.
Enfin, le cinquième et dernier chapitre de l’ouvrage envisage la vaste époque de la fin du XVIIIe siècle jusqu’à la deuxième décennie du XXIe siècle, confrontée à de nombreux défis. Monique Mund-Dopchie souligne que les grandes lignes de l’histoire du bonheur depuis la fin de l’Ancien Régime, la question du loisir (qui n’est plus réservé à l’élite à partir du XIXe siècle) et enfin certains lieux reliés à des destinations touristiques « paradisiaques » s’intègrent pleinement à l’imaginaire de l’âge d’or. L’auteure analyse les textes de Jules Verne et de Pierre Loti ainsi que des brochures touristiques qui font la synthèse entre les notions de l’âge d’or et du paradis terrestre.
Dans les propos liminaires de l’ouvrage, Monique Mund-Dopchie précise que cette recherche a pour point de départ un cours donné à ses étudiants. Il est vrai que si l’ouvrage peut nourrir le spécialiste, notamment en raison de la synthèse intéressante qu’il propose, il est également tout à fait accessible aux étudiants des premier et deuxième cycles universitaires. On soulignera enfin qu’une longue liste chronologique des sources mentionnées et des éditions consultées, ainsi que des index nominum et geographicus facilitent la consultation de cette vaste enquête. La date de parution, novembre 2020, invite au voyage le lecteur curieux qui, en ces temps sombres, a dû se contenter des images des paradis terrestres proposées dans les brochures touristiques.
Rebecca Legrand